Le coffee shop
Au coffee shop, passé les premières semaines d’ouverture - il ne faut guère de temps pour que s’use le vernis commerçant - on a systématiquement l’impression de déranger. Au moment de vous saluer ou de prendre votre commande, le serveur - et cogérant - a toujours des cookies aux pignons à sortir du four ou le café de quelqu’un d’autre à servir.
De la salle de bain de la Villa Cavrois à l’EHPAD sous contrat
C’est froid, dans tous les sens du terme. Depuis la hausse du prix de l’énergie, depuis cette mode du mobilier de jardin en intérieur, du carrelage blanc brillant associé aux peintures vert d’eau… Au mur, l’exposition permanente d’un artiste local - le voisin du troisième - égaye l’espace dans un style naïf.
De la bonhomie à… l’économie
L’esthétique cantine offre charme et convivialité. On y retrouve de longues tables en bois d’ingénierie, afin d’initier la rencontre et ouvrir le dialogue ; des couverts en libre service plantés pêle-mêle dans une carafe en inox, pour favoriser l’autonomie et faire circuler le chi ; une fontaine de detox water, où chacun peut se servir à discrétion - muni de son gobelet Duralex - d’une infusion des prunes du grand-père du bailleur.
Au comptoir, un courant d’air nous cisaille le flanc d’octobre à mai à chaque fois que la porte s’ouvre. Installés au plus près du percolateur qui nous moud le marteau et l’enclume, l’on s’assoit sur des chaises hautes en métal sans dossier. On ne sait plus bien s’il s’agit de profiter d’un bon café ou de terminer un TP de chimie. En tous cas, on n’y reste jamais longtemps. C’est ça le « design industriel ».
Pour le snacking, enfin une vraie offre végétarienne sans gluten !
On troque l’efficace mais trop tradi duo bière-clope contre un avocado toast saumon-halloumi grillé et un latte à la rose et miel de châtaignier.
4 thés, 5 cafés, 2 jus, 3 tartines… le reste de la carte est une kyrielle d’informations qui sonnent comme des leçons de morale. “ Nos déchets alimentaires sont compostés maison », « Nous fonctionnons avec un système de consignes pour les emballages à emporter », « Tri sélectif à 8 bacs…! »
La fréquentation
Dépassent des MacBook Air Retina en rang d’oignon, de petits bonnets de dockers qui couvent les calvities des trentenaires. En jersey cobalt ou kaki, ils rétrécissent au fil des saisons. Le style l’emporte sur la raison. Bientôt, ils ne seront plus que des kippas laïques, en équilibre sur un sommet de crâne.
Oui, reconnaissables à leur dress code, les jeunes urbains écocitoyens, cavaliers de la gentrification sont tous là. Ils pratiquent le travail en distanciel, installés dans leur affaissement nonchalant, fronçant les sourcils afin de manifester leur agacement à chaque nouvelle entrée client, malheureusement accompagnée de son zéphyr importun et du bruit d’une charnière grinçante. Ils payent un espresso et se prennent pour le proprio. Les yeux rivés sur leurs 13 pouces, ils semblent inventer Google ou faire du carry trade sur des OTC. À vrai dire, cela fait une demi-heure qu’ils butent sur un wording couleur. Lorsque l’on est graphiste, ce n’est pas rouge ; c’est rubescent ; ce n’est pas jaune, c’est jonquille.
Le temps est suspendu au coffee shop, la bande passante est large, le son est bon : soft indie-chill ou downtempo. On peut y rester des heures mais faut reprendre une conso.
Inès A. - Le Cynicat