Le parfum, une fiction intime

" Le parfum est une pièce jointe émotionnelle. "

Comptoir
2 min ⋅ 18/07/2025


Luxe invisible.

Porter un parfum, c’est se dire sans parler, décider de ce que l’on souhaite souffler dans l’air...

Il y a le parfum à sillage qui précède ou poursuit son porteur et laisse derrière lui une trace volontaire, comme une déclaration d’existence. Il y a le parfum intime, “ de peau ”, celui qu’on ne sent qu’au creux d’un cou, il n’a pas le projet de séduire les foules mais de troubler quelques élus. L’un réclame qu’on se souvienne de lui, l’autre que l’on s’approche.
Quand il ne se tourne plus vers l’autre, le parfum devient refuge, déclaration intérieure presque militante, c’est le choix souverain de son propre paysage olfactif.

Déclaration muette, il ne se voit pas mais dit de soi.

Il y a le vaniteux qui promet plus qu’il ne tient, éclate, vous plaît puis disparait. En soirée, il parle beau mais perd sa voix les lendemains matins. Explosif et dans la durée, le tenace s’accroche alors même que la fête est finie. C’est celui de la maîtresse de CE1 qui marquait ses élèves et leurs papas, dégageant un mélange entre séduction et rigueur dans un équilibre aussi fragile qu’inattendu. Le frais, à l’aise dans son indifférence élégante, est le gendre idéal : il arrive tôt, repart vite et ne laisse derrière lui qu’une image lisse et propre.
Le mièvre consensuel, à la politesse de ne déranger personne, il sourit à tout le monde, mais jamais n’accroche. Les trop sucrés, à l’innocence forcée, sont cette petite fille à la voix de crécelle dont les aigus étranglent les nerfs et griffent les tympans.
Le délicat - ce presque rien suspendu sur la peau, un éclat effleurant les points de pulsatifs - est mon préféré. Souvent rond, jamais vulgaire, il ne s’impose pas, il effleure, maîtrisant l’art de ne pas y toucher. Un poil ironique, il prétend ne pas vouloir s’imposer pour se faire désirer.

Les détails changent, les voix s'effacent, les visages fondent mais l’odeur d’une personne, d’un lieu, d’un plat… demeure. Le parfum est une pièce jointe émotionnelle.

Existe une vérité tacite, peu avouée mais partagée par tous : à chaque ex son parfum.
À chacun de nos antihéros s’accrochent des fragrances répandues que le destin se plaît à faire ressurgir dans des relents de nostalgie. Ce garçon à la vanille mêlée de tabac froid… L’Homme qui n’avait de Sauvage que le nom, un souvenir poli mais trop classique, son charme distant n’a jamais su nous retenir. Les terres arides d’Hermès, où rien n’a jamais voulu pousser… Plus loin, sur d’autres rivages, flotte Armani Code, spectre odorant qui hante encore l’épithélium olfactif de presque toutes les femmes de ma génération.

Certains parfums deviennent infréquentables, ils se sont usés sur des peaux hostiles.
Une autre élégance s’impose et nous promet de nouvelles aventures : vive l’avénement des parfums de niche, ils ont tellement plus de chien !


Inès A. - Le Cynicat

Comptoir

Par Inès A.